Au lendemain des commémorations du 8 mai 1945, la France célèbre un autre événement, intimement lié à notre histoire humaine et géopolitique, et plus actuel que jamais. Portrait de l'Europe.
ORIGINES
Fille d'Agénor dans la mythologie grecque, Europê est une princesse dont le nom décrit une beauté certaine : Europê signifie "large visage aux grands yeux". Zeus, qui tombe amoureux à chaque averse, a le coup de foudre (ô ironie quand tu nous tiens !). Le dieu du ciel, pour éviter les foudres de son épouse Héra, part à la rencontre d'Europê en se transformant en taureau blanc. La jeune fille, un peu naïve, tombe sous le charme de la bête, qui l'enlève. Europê fécondera par trois fois (avec Zeus en forme humaine, plaît-il !). Les rapports ne seraient toutefois pas amoureux mais davantage dignes d'un #MeToo. La morale est ouverte à interprétation, mais les historiens pensent que cette histoire permet de préparer la "virilisation" de la société grecque, jusque là plutôt paritaire au niveau divin.
Quel rapport avec notre continent ? Les frères d'Europê, apprenant son enlèvement, franchissent monts et rivières et fondent des cités sur leur chemin (chacun ses priorités !). Ce périple dessine des frontières invisibles et crée ainsi un territoire unique, comme un continent. Un continent qui représente celui qui cherche et explore, comme les frangins qui cherchent Europê.
RECONCILIER ET S'UNIR
Le 9 mai 1950 est la date exacte que nous célébrons. C'est le jour où Robert Schuman, homme politique français, présente un texte sur l'importance d'une construction géopolitique de l'Europe. L'idée est d'abord historique : renouveler les aspirations des Lumières quand l'Europe culturelle et puissante régnait. Puis géopolitique ; toutes ces années de conflits, de totalitarisme, de destruction, d'horreur et de perversités de l'Homme doivent être réparées par la paix et la stabilité. Et donc par la réconciliation avec l'Allemagne. Plutôt que de blâmer cette dernière qui depuis 5 ans prend conscience de sa responsabilité, autant en faire un allié économique et culturel. L'URSS a décidé de jouer solo de son côté et l'Europe est sous la coupe financière des Etats-Unis suite au Plan Marshall de 1947 (prêt pour financer - et gagner - la guerre, qu'on doit rembourser).
PAIX ET PROSPÉRITÉ
Le coté ouest de l'Oural doit donc réfléchir à son identité propre. L'idée séduit les autres pays concertés : le Benelux, l'Italie et bien sûr l'Allemagne Fédérale. Le 18 avril 1951 est signé le Traité de Paris et la création d'une Europe économique d'abord, la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) qui garantit la sécurité d'approvisionnement. Le Traité promet également la paix entre ses états membres.
EXPANSIONS
Afin de faire fonctionner paisiblement cette Europe, il est important d'avoir une approche plus "politique" (de gestion commune). Une communauté politique européenne est créée et devient la CEE (Communauté Economique Européenne) en 1957 à la signature du Traité de Rome. Seize ans plus tard, de nouveaux pays rejoignent la CEE : le Royaume Uni, l'Irlande, le Danemark, suivis de l'Espagne, du Portugal et de la Grèce quelques années après.
La CEE ouvre le Marché Commun aux douze états membres et gère une politique agricole commune. Le Marché Commun permet la libre circulation des biens et des personnes dans ces mêmes nations, crée un Fond Social Européen pour développer l'emploi et fonde la Banque Européenne d'Investissement pour financer la recherche d'innovations et de nouvelles ressources mais aussi le développement des régions européennes plus défavorisées.
Une union encore plus globale naît en 1992 avec le Traité de Maastricht et au total ce seront vingt-huit pays qui formeront l'UE (Union Européenne) jusqu'à nos jours (vingt-sept depuis le Brexit et le départ du Royaume-Uni voté en 2016 par référendum britannique).
L'UE prend un pas supplémentaire vers la politique commune avec pour grand projet l'instauration d'une monnaie commune et unique : l'Euro sera adopté par dix-neuf pays de l'UE ("la zone Euro") d'ici 2015. Le pouvoir jusque-là principalement économique s'agrandit et devient policier et judiciaire, monétaire, financier, culturel. En 2004, la Constitution Européenne est rédigée pour notamment éviter tout conflit qui résulterait en crise majeure ou encore tout statut quo lors des décisions, en définissant la majorité comme suit : « la majorité qualifiée requise est constituée des deux tiers des États membres, représentant au moins les trois cinquièmes de la population de l'Union » (art. 24-2). Du fait que l'UE contient divers types de pouvoirs souverains (monarchies, républiques), la Constitution sera votée par référendum. Elle est présentée en 2005 dans quatre pays (France incluse). Le non l'emporte mais finalement, un texte avec de nombreux points similaires à la Constitution sera signé, le Traité de Lisbonne en 2009. Une grande décision de cette "pseudo Constitution" est d'impliquer davantage les citoyens européens.
Les élections européennes ont lieu tous les cinq ans et élisent 705 députés européens qui siègent au Parlement Européen, qui comme à l'Assemblée Nationale en France, représentent les intérêts de la population et votent ou révoquent les lois.
DES EUROPES
Deux visions de l'Europe s'affrontent lors de ces élections. On parle d'Europe fédérale et a contrario d'Europe des Nations. La différence est le niveau de pouvoir laissé à la Communauté. L'Europe que nous connaissons est plutôt fédérale et prônée par les partis plus progressistes et libéraux ; beaucoup de décisions sont prises et gérées de manière supranationale (au-delà des nations). Les financements pour la recherche, les aides pour la santé publique, les fonds pour la formation et l'emploi, mais aussi les décisions plus régaliennes (sécurité, police, justice, défense) comme la création d'Europol, la politique migratoire, et actuellement la gestion diplomatique de la crise en Ukraine. Autant de choses qui sont gérées et financées par l'UE. L'Europe des Nations voudrait limiter les pouvoirs européens au profit des pays souverains notamment dans les domaines comme l'immigration et les finances. Cette Europe est plébiscitée par les partis dits conservateurs. Ces partis souhaitent la souveraineté nationale pour les affaires régaliennes. Les partis aux extrêmes de l'échiquier politique, de tendance nationaliste, identitaire et/ou "antisystème", préfèreraient quant à eux sortir de l'Union Européenne.
INSTITUTIONS EUROPÉENNES
SYMBOLES
Un drapeau, bleu et composé de douze étoiles en cercle depuis 1955. Douze représente un cycle complet : douze mois, douze signes astro etc. Le cercle, l'égalité. Les étoiles, la solidarité entre les peuples.
Un hymne, Joyful Joyful (Ode à la joie) prélude du dernier mouvement de la 9ᵉ symphonie de Beethoven, depuis 1972. Les paroles sont un poème sur la fraternité des Hommes, écrit par Friedrich von Schiller.
Une devise : “Unie dans la diversité” choisie lors d'un concours au Mémorial de Caen en 1999.
Une monnaie unique, l'Euro depuis 1999. Dix-neuf pays forment la zone Euro depuis 2015.
Une journée, le 9 mai qui commémore la déclaration de Robert Schuman, ministre des affaires étrangères français, du 9 mai 1950.
QUELLE EUROPE AUJOURD'HUI ?
Beaucoup de sujets sociétaux, régaliens et financiers opposent les "fédéraux" et les "souverains". Le Brexit a perturbé l'équilibre de tous et cela s'est ressenti notamment pendant la COVID. Le Brexit en a motivé plus d'un à vouloir leur propre Exit, mais il a tout autant renforcé l'esprit fédéral des autres. D'autres encore pensent que la France et l'Allemagne sont les leaders officieux dans les décisions qui préoccupent tous les européens.
DÉFI ACTUEL
Une chose est sûre, l'Europe a jusque-là rempli son rôle de gardien de la paix sur son continent. Jusqu'au 24 février dernier quand la Russie a envahi l'Ukraine. La version russe : dénazifier l'Ukraine. La version ukrainio-européenne : le retour à un régime d'inspiration soviétique totalitaire. Pour l'instant, l'Europe, en la personne de son représentant actuel, Emmanuel Macron, président de la République française (la présidence de l'UE change tous les six mois) prône la diplomatie et le boycott commercial tout en fournissant l'aide humanitaire. Si l'un des pays européens, de l'UE ou pas, venait à mettre un pied en Ukraine muni d'un fusil, une troisième guerre pourrait être déclarée. L'impensable pour l'Europe dont l'identité même est de l'éviter. Pourtant l'avenir d'un pays ami est menacé.
Fêter l'Europe a de multiples facettes : fêter son statut actuel, rêver d'un rôle plus limité, prier pour une issue rapide pour l'un de ses potentiels futurs membres ou encore crier au retrait de nos nations. A chacun son Europe, tant que la paix y règne.
Par C.BL