Ce dimanche a eu lieu la Gay Pride à Bordeaux. Prés de cinq mille personnes ont rempli les rues de la Belle Endormie, qui s'éveillait devant une parade haute en couleurs, comme le drapeau qui la symbolise, pour montrer que la vie est belle quand on se respecte et qu'on accepte les autres tels qu'ils sont. L'arc en ciel ne rend pas la cause plus légère ; la fierté est récente, née d'une tragédie, et remplace tant bien que mal la honte, la tristesse, le dégoût, la mort, provoqués par des siècles de rejet sociétal et familial.
L'histoire unique de la Gay Pride.
LES ÉMEUTES DE STONEWALL
28 juin 1969, Greenwich Village, New York.
Le contexte social est tendu : l'Amérique des années 60 est ségrégationniste, anti-communiste, combat au Viet Nam et est homophobe. Les Afro-Américains ont perdu leur leader Martin Luther King il y a quelques mois et se radicalisent ; les objecteurs de conscience sont dans la rue pour condamner l'une des guerres les plus dévastatrices du XXème siècle en Asie, et les "queer", terme anglophone alors péjoratif, se cachent pour s'aimer et fréquentent les quelques bars en sous-sol qui les tolèrent. La police américaine est sous tension permanente et malheureusement à l'époque n'hésite pas à commettre des actes de répression ultra violents.
Ce soir-là, le Stonewall Inn, bar "queer-friendly" (accepte les homosexuels, transgenres, travestis etc., ndlt) qui appartient à la mafia new-yorkaise, bat son plein. L'Inn est habitué aux descentes de police (à l'époque il est interdit aux hommes de danser ensemble et de se travestir, et aux homosexuels de boire de l'alcool en lieu public). La première victime est pourtant une femme, une "butch" (lesbienne au look masculin), possiblement Stormé DeLarverie, qui se fait violemment menotter puis matraquer la tête. Pour la communauté "queer" présente ce soir-là, c'est la goutte d'eau. La foule rétorque à la hauteur des coups des policiers qui perdent le contrôle. La situation fait que les officiers, en sous-effectif, sont contraints de s'enfermer dans le bar, la majorité de la foule étant sortie entre temps. Les principales victimes de coups sont les femmes transgenres et les hommes considérés "efféminés", surtout s'ils sont afro-américains ou hispaniques. Des hétéros tolérants, venus boire un verre, sont également battus ou incarcérés par "erreur". La police anti-émeutes est appelée et n'arrive pas à contenir les quelques deux mille individus. Bien que la nuit se termine par le départ progressif des émeutiers, les cinq prochains jours connaîtront un sort similaire.
La presse de l'époque ne sera pas tendre à ce sujet : Sunday fag follies ("Les folies des pédés du dimanche", ndlt) peut-on lire en une de Village Voice. Mais l'effet positif finit par prendre : progressivement, des groupes activistes se forment un peu partout et organisent des manifestations pour les droits des gays et lesbiennes ; quelques éditeurs de journaux plus progressistes assument enfin un éditorial en soutien à ces communautés.
PREMIÈRE FIERTÉ vs AUJOURD'HUI
Des activistes proposent en novembre de la même année de commémorer ces nuits d'affront et de naissance du mouvement gay avec un défilé pour parader fièrement.
Ce sera chose faite fin juin 1970 dans plusieurs grandes villes des Etats-Unis. A New York, la Gay Pride se nomme alors Jour de Libération de Christopher Street (la rue où les émeutes ont eu lieu).
De nos jours, les manifestations ont peu à peu laissé place à une parade festive où toutes les hontes et les souffrances sont mises au placard (elles) et la fierté d'être qui l'on est devient la seule priorité du moment. Certains railleront toujours ces festivités et certains déguisements comme étant "déviants" ; peut-être les sourires et les couleurs qui embellissent ces parades font-ils mal aux yeux des plus sombres âmes, nostalgiques d'un temps passé ? (l'homosexualité et la transidentité sont pourtant aussi vieilles que le monde !). A Bordeaux, c'est la vingt-quatrième édition cette année. La parade part du parc des Angéliques, rive droite. Petite note triste de la marche ce jour, une structure sur char s'est effondrée Cours Victor Hugo, faisant au moins huit blessés dont trois graves.
FIER SELON LES PAYS
Bien que la marche des fiertés soit célébrée dans beaucoup de pays, elle n'a pas toujours eu le vent en poupe avec certaines nations. Petit voyage des premières marches dans le monde :
Afrique : 1990 en Afrique du Sud, 2012 pour l'Ouganda et 2018 pour le Kenya et l'Eswatini.
Amérique du Nord : 1970 au Canada comme aux Etats-Unis.
Amérique latine : il a fallu plusieurs essais avec répression policière comme réponse mais les premières marches datent de 2000. Le Brésil commence plus tôt, en 1997 et détient le record des prides les plus affluentes. A contrario, à Cuba, la conga (marche contre l'homophobie et la transphobie avec pour année baptême 2007) est interdite en 2019 par l'influence du lobbying de l'Eglise. Son retour en mai dernier, après une réforme du Code de la Famille et deux années de COVID, fut un soulagement pour beaucoup.
Asie : le Japon mène le cortège avec sa première marche en 1997, suivi de la Corée du Sud en 2002. A Taiwan on fête la plus grosse Pride d'Asie du Sud Est depuis 2003. En Thailande on marche depuis 1999 et en Chine... on marche droit...
Moyen-Orient : seuls quatre pays ont légalisé l'homosexualité (Israël, Jordanie, Cisjordanie, Turquie). La Turquie fête la "marche contre l'homophobie" depuis 2003 mais celle-ci a été interdite plusieurs fois, pour éviter les risques d'agressions homophobes. En Israël, la marche des fiertés est célébrée mais au risque (avéré) d'actes violents contre les manifestants.
Europe de l'Ouest : le Royaume-Uni est le premier pays à fièrement marcher en 1972. En Italie c'est la même année mais pour des raisons plus contestataires : la manifestation marche contre le « Congrès international sur les déviances sexuelles » de l'Eglise catholique qui considérait l'homosexualité et la transidentité comme des maladies et des perversions. En France, il faut attendre 1977 pour voir la première Pride, comme en Belgique. En Allemagne, 1979.
Europe de l'Est : il faut attendre la chute de l'URSS pour voir la première marche (Hongrie en 1992). Certains pays de l'Europe de l'Est ont tardé à accepter les Prides. Récemment, la Pologne a même délimité des "zones anti-LGBT" que l'UE a réussi à interdire (mais les mouvements nationalistes continuent à chahuter les communautés gay dans le sud du pays). La Russie connait des difficultés similaires.
DES INITIALES, DES IDENTITÉS ET DES SEXUALITÉS
LGBTQQIAAPO. C'est l'acronyme complet à ce jour, après des années comme "communauté LGBT" (terme qui reste utilisé le plus souvent) :
Lesbiennes : homosexuelles femmes
Gays : homosexuels hommes, ou homos en général
Bisexuels : attirance pour les hommes et les femmes
Transgenres : personnes nées dans un genre qui ne leur correspond pas, et qui transitent vers le genre opposé auquel elles s'identifient
Queer : terme jadis péjoratif ("folle" en français pour nommer un homosexuel par exemple, ndlt) mais qui représente désormais la culture de la communauté LGBT (par orientation ou identité)
Questioning : qui sont en questionnement sur leur orientation sexuelle
Intersexes : personnes nées avec des attributs sexuels à la fois féminin et masculin, plus ou moins développés.
Asexuels : qui ne ressentent pas d'attirance sexuelle pour autrui et/ou soi-même
Alliés : personnes cis qui soutiennent activement la cause (un "cis" est une personne hétérosexuelle et née dans le genre qui lui correspond)
Pansexuels : attirance pour n'importe quel genre
Other : autres ressentis d'orientation et d'identité
A noter :
Le suffixe "-sexuel" ne limite pas l'attirance au rapport libidinal. Elle peut aussi être romantique, sentimentale, amoureuse...
Le genre, c'est l'identité de la personne. Le genre n'est plus dichotomique (garçon - fille) mais "fluide" dans un spectre. Plutôt que "neutre" qui déshumanise, on parle de "gender fluid" (non genré en français) et du pronom inclusif iel récemment entré dans le dictionnaire français.
Les lettres de l'alphabet s'ajoutent au fur et à mesure que les lois libératrices s'imposent, mais certains craignent que la fluidité du genre et de l'orientation sexuelle n'entraînent un flou identitaire, notamment chez les plus jeunes. En effet, on pourrait se poser la question sur ces individus en quête de leur unicité, voulant sortir d'une catégorie qu'on leur a imposé, pour rentrer dans une autre qu'ils s'imposent eux-mêmes.
Mais peut-être faut-il voir l'être humain et l'amour comme des entités uniques dans leur beauté et leur complexité, et donc accepter qu'il y a autant d'identités que de personnes sur cette Terre ?
Sept milliards d'identités et d'amours, dont beaucoup risquent la mort d'être "soi-même".
SOS HOMOPHOBIE 01 48 06 42 41
Par C.BL